Quatre heures du matin, nous naviguons depuis seize heures, la première trace de vie est encore loin, très loin, très très loin. J'ai pris mon quart il y a environ deux heures, je dois tenir encore un peu avant la relève. Je me bats pour ne pas sombrer, mes yeux inexorablement se ferment, s'entrouvrent avec mollesse, s'éteignent à nouveau puis, las de lutter, jettent l'éponge. Et là, miracle de la nature humaine, l'instinct de survie se met en branle, mon inconscient, pas encore complètement éteint, m'envoie un appel salvateur "Putain, Antoine, faut pas que tu merdes". Merci petit ange gardien, bien sûr qu'il ne faut pas que je merde. Parce qu'il y a là Pascal, recroquevillé à cinquante centimètres de moi, qui se repose et qui a mis sa vie entre mes mains. Pascal qui il y a six mois, alors que nous ne nous étions pas revu depuis presque trente ans, me propose à moi, navigateur quasi néophyte, une chose dingue : s'enfiler une traversée de près de quatre cents miles (finalement ce ne sera "que" trois cents). Parce qu'il y a Perrine qui elle aussi me porte une confiance, belle, simple, inattendue et qu'il va falloir se montrer à la hauteur. Parce qu'il y a des gens loin là-bas, sur la terre ferme, à qui je vais avoir des histoires à raconter. Des grands potes, des compagnons d'aventures, des complices de vie, Genevieve, Loïc, d'autres bien sûr, Vincent, évidemment Vincent, avec qui je dois aller pourfendre d'autres océans. Parce qu'il y a Marine, Caroline, Nicolas et que je dois rester leur phare. Et enfin, et surtout, et par dessus tout le reste, parce qu'il y a Claire, l'Amour de ma vie, mon épouse, mon aimante, mon amante. Elle m'attend à la maison, impatience, fébrile, mais heureuse aussi de me savoir là, sur l'eau.







Alors en une seconde, l'étincelle fait son ouvrage, je me redresse, remonte le col de ma veste de quart, boit une grande gorgée d'eau et lève mes yeux, maintenant bien ouverts, à la nuit. J'y croise la lune qui me sourit, une belle lune pas très grande mais bien pleine, aux teintes jaunes-orangée, comme celles des pêches de vigne de mon jardin, une lune bienveillante qui me dit "Vas-y petit marin, montre leur que tu es le plus fort, il est beau votre Simalo, mène-le à bon port". Alors, j'obéis aux ordres de ce maître à bord imprévu et il ne reste plus qu'à choisir une étoile bien brillante, au cap, elle me servira de guide jusqu'aux premières lueurs du jour.



Il ne nous reste plus que deux cents miles à faire, fastoche, la vie est belle...







Antoine

Lundi 20 juin Antoine nous livre ses sensations.
Lundi 20 juin Antoine nous livre ses sensations.
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